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LOCARNO 2023 Compétition

Critique : Nuit obscure – Au revoir ici, n’importe où

par 

- Sylvain George pointe sa caméra sur un groupe de jeunes migrants à la frontière entre continent africain et Europe, et met en lumière un quotidien fait d'obstination, d'espoir et de douloureuse utopie

Critique : Nuit obscure – Au revoir ici, n’importe où

Melilla, enclave espagnole au Maroc, représente pour beaucoup de migrants africains qui fuient une vie difficile le lieu idéal où rêver d’un avenir meilleur. Avec une obstination qui confine à l'obsession, le groupe de jeunes mineurs piloté par Malik que Sylvain George suit le même niveau d'obstination, mais toujours avec une discrétion pudique, cherche à atteindre l’Europe. En attendant de prendre leur envol, emprisonnés derrière des barreaux réels et invisibles, les personnages du film construisent un présent en suspens, un simulacre de "normalité" qui se nourrit d'ingéniosité et de désespoir, de virilité de façade et d’un besoin profond de rester des enfants. Nuit obscure – Au revoir ici, n’importe où [+lire aussi :
bande-annonce
interview : Sylvain George
fiche film
]
, en lice pour Le Leopard d'or du Festival de Locarno, est la deuxième partie d’un propos entamé en 2022 avec Nuit obscure – Feuillets sauvages (Les brûlants, les obstinés) [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film
]
, présenté hors-compétition, toujours à Locarno.

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Filmé dans un noir et blanc majestueux qui transforme les aventures des personnages en de gigantesques tableaux vivants qui évoquent Le Caravage, Nuit obscure – Au revoir ici, n’importe où montre ce que le monde occidental ne veut pas voir, met en évidence des dynamiques inattendues, désespérées et fortes, des rêves dissidents qui transcendent les frontières géographiques, des étincelles de vie qui alimentent un feu qu'aucune politique migratoire ne pourra jamais arrêter.

Rythmé par un savant montage qui se transforme en un véritable langage, le film se construit à travers une série d’épisodes qui se concluent par un fondu au noir dissolvenza a nero, comme si un œil se fermait un instant pour rassembler le courage de se rouvrir. C'est que ce que Nuit obscure – Au revoir ici, n’importe où nous montre n'est certainement pas facile, c’est même le contraire. En nous obligeant à regarder, pendant trois heures, ce qui se joue dans les rues de Melilla (mais pas seulement) tandis que nous autres, pour la plupart, dormons, Sylvain George transforme encore une fois le cinéma en acte politique.

En éloignant le spectateur de ce qu’il connaît pour lui mettre sous les yeux les cicatrices, les espoirs et les peurs de ceux qui n’ont pas eu la chance de naître au bon endroit, le réalisateur français brise en mille morceaux toute illusion qu'on pourrait avoir.

Les jeunes personnages du film, résistants malgré tout, nous montrent que l’espoir est plus fort que tout autre chose. Rejetés par une communauté qui voudrait tout simplement qu'ils disparaissent, Malik et ses amis se construisent un monde "alternatif" et fragile qui cohabite avec le monde "réel" sans en partager la temporalité. Incessamment poussés vers la fuite, les jeunes filmés par Sylvain George ne connaissent de fait ni le jour, ni la nuit, ni l'état éveillé, ni le sommeil. L’absence de tout privilège, de quelque identité sociale que ce soit, laisse aux personnages du film une seule liberté : celle de construire leur propre utopie où les frontières, (géographiques, linguistiques, sociales) n'existent pas. Sortes d’animaux mythologiques, les jeunes héros du film se retrouvent à dormir entre les branches d’un arbre, dans les interstices entre les rochers, dans le ventre d’une ville qui a appris à les accueillir malgré les protestations de ses habitants.

Les cicatrices, montrées de manière frontale, mais toujours avec respect, comme caressées par quelqu’un qui connaît la douleur qui les a provoquées, se transforment en carnet de bord d’une vie qui veut désespérément être vécue. Loin de tout misérabilisme, Sylvain George exalte la poésie qui se niche dans le désespoir et met en avant un besoin de vivre que rien ne peut éteindre, ni le rejet, ni la répression.

Nuit obscure – Au revoir ici, n’importe où a été produit par la société française Noir Production en coproduction avec la maison suisse Alina Film et la RTS Radio Télévision Suisse.

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(Traduit de l'italien)

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