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"C’est compliqué de vivre du documentaire unitaire : c’est un peu le parcours du combattant"

Dossier industrie: Tendance du marché

Hervé Rony • Directeur général, Scam

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Le directeur général de la Scam faire le point sur la conjoncture dans le documentaire vue du point de vue de la défense des auteurs

Hervé Rony  • Directeur général, Scam

Présente au 34e Sunny Side of the Doc (du 19 au 22 juin à La Rochelle) pour faire le point sur l’actualité du secteur, la Scam (société civile des auteurs multimédia) représente près de 50 000 auteurs et autrices, notamment de très nombreux documentaristes français. Rencontre avec Hervé Rony, son directeur général.

Cineuropa : Comment se porte l’économie du documentaire en France ?
Hervé Rony :
Il y a une stabilisation de l’exploitation et de la diffusion du documentaire en France où le service public (France Télévisions, Arte et les chaînes parlementaires) représente environ 60% des documentaires et des grands reportages diffusés. Il faut signaler que l’an dernier, TF1 et M6 ont pris pour la première fois des engagements, certes assez modestes mais inédits, sur la production de documentaires. Il y a aussi une reprise d’une politique documentaire par Canal+. Quant aux plateformes, on est dans une relative stabilité du côté de Netflix sur la base d’un accord avec l’Arcom qui nous a mécontenté et que les producteurs tentent de renégocier à la hausse puisque le documentaire représente seulement 0,6% des obligations d’investissements de Netflix, ce qui est très faible.

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Sur le volet des soutiens sélectifs du CNC, le volume des aides au documentaire a baissé, mais cela s’explique en partie par une réforme remontant à quelques années et qui visait à exclure progressivement du champ des aides certains types de programmes au format un peu industriel afin de resserrer les critères et que le soutien du CNC soit davantage concentré sur les documentaires unitaires et les grands reportages.

Enfin, plus largement, le genre documentaire se renouvelle : comme pour la fiction, mais sans doute avec un temps de retard, on commence à voir apparaître de plus en plus, même si c’est loin d’être majoritaire, des formats de séries documentaires avec même un peu de "cliffhanger" et de suspense à la clé. Et il ne faut pas non plus oublier les succès des documentaires au cinéma et dans les grands festivals comme Sur l’Adamant [+lire aussi :
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de Nicolas Philibert à la Berlinale et la présence de deux documentaires en compétition le mois dernier à Cannes (dont le gagnant ex-aequo du prix de L’Oeil d’or piloté par la Scam : Les Filles d’Olfa [+lire aussi :
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de Kaouther Ben Hania). Cela montre qu’il se passe quelque chose du côté du cinéma documentaire, même si économiquement c’est toujours aussi difficile, le genre ne représentant que 1,3% des entrées dans les salles françaises en 2022.

On entend souvent parler de la fragilité du modèle de financement des documentaires. Quelle en est la cause principale ?
Le soutien au documentaire n’est pas en cause. Il existe en France un dispositif qui est quand même préservé par les pouvoirs publics : le CNC a les moyens de sa politique pour aider les documentaires. Mais il y a toujours le sujet du rapport entre le volume et l’investissement unitaire. La tendance de France Télévisions en ce moment, ce qui n’est pas le cas d’Arte, serait plutôt d’aller vers un peu moins de documentaires mieux financés. Globalement, le secteur public vit depuis plusieurs années sur un gel des investissements dans la création : les budgets n’ont pas baissé, mais ils n’ont pas progressé. Si on ajoute maintenant le phénomène de l’inflation, cela va donner une légère baisse des montants investis.

Que fait-on de ces montants d’investissements qui ne bougent pas ? Le même nombre de documentaires quitte à avoir des documentaires parfois, pas tous cependant, un peu sous-financés ? Ou prend-on la décision, qui n’est pas facile, de diminuer le nombre de documentaires pour les financer mieux ? Ensuite, il y a des vases communicants. France Télévisons par exemple veut développer plus de documentaires de première partie de soirée pour sans doute concurrencer les plateformes, notamment avec des formats sériels qui coûtent davantage d’argent. Il commence donc à y avoir des documentaires très financés, mais évidemment, si vous avez la même enveloppe et que vous mettez disons (ce ne sont pas des chiffres réels, mais des ordres de grandeur) 300 000 euros au lieu de 100 000 euros sur un prime time, forcément les 200 000 euros supplémentaires n’iront pas sur deux autres documentaires de création. Quand on dit que le financement du documentaire est fragile, c’est parce qu’on est dans une enveloppe fermée et qu’on a tendance à avoir des arbitrages douloureux : soit vous en faites autant mais ils ne sont pas très bien financés, soit vous en faites moins, vous baissez en volume et vous faites moins travailler les auteurs. Or le documentaire est un genre protéiforme, ce qui complique encore la donne car il faut assurer la diversité des sous-genres : la politique, les questions de société, l’animalier, la science, l’Histoire, l’art et la culture, etc.

Mais ce n’est pas seulement une question de financement stricto-sensu, parce que les producteurs font leur tour de table et in fine arrivent à peu près à trouver les moyens de faire leurs films. Globalement, c’est une économie de pénurie car à part quelques documentaristes qui tournent beaucoup, les rémunérations restent très limitées. Heureusement, nous avons signé avec les syndicats de producteurs un accord de rémunération minimale des auteurs pour l’écriture. Mais nous estimons que pour qu’un documentariste puisse vivre correctement, il faudrait qu’il réalise deux documentaires et demi par an. Or un documentaire unitaire un peu solide prend au moins six mois de travail. Il ne faut pas noircir le tableau car la France a un dispositif de soutien à l’audiovisuel exceptionnel quand on regarde ce qui se passe à l’étranger, mais pour autant c’est compliqué de vivre du documentaire unitaire : c’est un peu le parcours du combattant.

Quid du relais de croissance espéré en financement de la part des plateformes pour la production de documentaires en France ?
Il n’est pas très fort et cela le sera toujours ainsi car on est très loin des volumes qu’assure le service public. Netflix a peut-être produit sept ou huit documentaires l’année dernière, séries comprises, et ce n’est pas parce qu’ils en feront 20 demain matin, ou que Disney et Amazon en feront dix chacun que cela va révolutionner le milieu. Cela ferait 40 auteurs qui travailleraient avec pas mal d’argent pour faire des documentaires un peu mainstream alors qu’à la Scam l’an dernier, j’ai 3000 auteurs qui ont déclaré des documentaires et des reportages. C’est le paradoxe du documentaire : ceux qui ont beaucoup d’argent pour investir en font peu et ceux qui n’ont pas beaucoup d’argent en font beaucoup.

C’est aussi pour cette raison que la Scam milite pour que soient maintenus les moyens dont dispose le service public. Nous étions très inquiets de la disparition de la redevance audiovisuelle, sa compensation par une fraction du produit de la TVA semble fonctionner, mais cela ne suffit pas. Depuis le gel des investissements à la création de France Télévisions décidé il y a quelques années, il y a 110 M€ pour le documentaire et le grand reportage, mais ce montant il y a bien un moment où il faudrait le revaloriser. Mais non seulement les pouvoirs publics ne veulent pas augmenter les moyens du service public, mais en plus les chaînes doivent continuer à investir sur les antennes traditionnelles linéaires tout en générant des programmes originaux pour leurs propres plateformes. Je ne dis pas qu’elles manquent d’argent, mais elles n’en ont pas assez pour faire tout cela. On ne peut pas comme France Télévisons faire une plateforme pour les jeunes comme Slash, ce qui est plutôt bien car les jeunes ont déserté le linéaire où l’âge moyen des téléspectateurs est de 65 ans, sans enlever en même temps trop d’argent des antennes linéaires. L’équation est très compliquée et c’est pour cela que le gel des investissements à la création est négatif. Or il y un potentiel pour les documentaires délinéarisés ciblant les jeunes, mais c’est une écriture spécifique et cela coûte de l’argent. Certes, il y a des questions politiques générales, le budget de l’État, l’adhésion des Français au service public, etc. qu’on ne peut pas ignorer, mais le résultat des courses malheureusement, c’est qu’on donne le même argent alors qu’on doit faire plus de choses aujourd’hui.

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